Généralisation de la complémentaire santé d’entreprise : une évaluation ex ante des gains et des pertes de bien-être
Aurélie Pierre, Florence Jusot, Denis Raynaud, Carine Franc
Depuis le 1er janvier 2016, les employeurs du secteur privé ont l’obligation de proposer et de financer partiellement une complémentaire santé à tous leurs salariés. Elle s’accompagne d’une amélioration de la portabilité de cette complémentaire pour les chômeurs jusqu’à douze mois après la rupture du contrat de travail. Cette réforme a été largement soutenue par les pouvoirs publics qui souhaitent généraliser, à tous, la couverture santé par une complémentaire de qualité. Elle pose toutefois un certain nombre de questions en termes d’équité et d’efficacité. En effet, non seulement elle exclut de facto la quasi totalité des individus sans emploi qui sont plus souvent précaires, mais en plus, elle contraint les salariés à ne pas pouvoir choisir leur niveau de couverture santé optimal au regard de leurs besoins de soins et de leurs préférences.
En mobilisant le cadre théorique de l’utilité espérée, nous proposons dans ce travail de simuler les gains et les pertes de bien-être à attendre de cette réforme sur l’ensemble de la population. Nous mobilisons les données de l’Enquête santé et protection sociale (ESPS) de 2012, appariées aux données de remboursements de l’Assurance maladie à partir desquelles nous élaborons une situation contrefactuelle de la réforme de l’Accord national interprofessionnel (Ani). Nous tenons compte en particulier des effets indirects que cette réforme devrait induire sur le marché individuel de la complémentaire santé et sur le marché du travail, et mobilisons un indicateur subjectif des préférences des individus vis-à-vis du risque.
Les résultats montrent que, lorsque l’on considère que l’Ani induira une augmentation des primes des contrats individuels et une diminution des salaires, le bien-être collectif devrait se réduire. Le gain en bien-être des salariés qui bénéficient de la réforme est en effet contrebalancé par la perte de bien-être subie par les personnes couvertes par un contrat individuel ou que la réforme oblige à s’assurer. La moitié de la population verrait son bien-être se réduire pour seulement 7 % de gagnants. Ce sont les individus les plus fragiles, c’est-à-dire les plus pauvres et les plus âgés, qui seraient particulièrement concernés par une réduction de leur bien-être.